Assis au fond, un étudiant prend une photo : il cadre une forêt de têtes alignées jusque sur les marches des escaliers. « Flippant, non ? » écrit-il à sa mère dans un SMS. Bienvenue à la faculté de droit de l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Jeudi, c’est dans l’atmosphère tropicale d’une salle pleine à craquer que les étudiants y ont fait leur prérentrée. Ici, comme dans de nombreuses autres facs, la reprise des cours a des airs d’émission de téléréalité : il faudra s’accrocher pour continuer l’aventure.
« infâme » tirage au sort
A l’échelle nationale, on attend quelque 40 000 étudiants supplémentaires, toutes filières confondues, par rapport à l’an dernier. C’est en région parisienne que le saturation des amphis est la plus importante, sans toutefois suffire à absorber toutes les demandes d’inscription. Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, 3 000 jeunes n’ont toujours pas d’affectation et des milliers d’autres se retrouvent par défaut dans une filière qu’ils ne désiraient pas (lire ci-dessous).
A la porte du département de droit de Paris-I, l’un des plus prisés de France, « des centaines d’étudiants » se sont cassé les dents, explique au micro le président de l’université, Georges Haddad, en guise de mot de bienvenue. « Vous avez surmonté l’obstacle d’APB, ce tirage au sort infâme, scandaleux, poursuit-il. On aurait bien accueilli tout le monde, mais nous ne pouvons pas ouvrir la porte de l’université à tous ceux qui, légitimement, veulent y entrer. »
"Ne parlez pas à votre voisin, il ne sera plus la dans une semaine"
Julien, debout près de l’entrée, écoute d’une oreille distraite : redoublant, il connaît déjà le discours. La foule ne l’effraie pas. « Le droit, c’est dur et beaucoup abandonnent dès le premier mois. Au premier TD l’an dernier, le prof nous a dit : Ne parlez pas à votre voisin, il ne sera plus là dans une semaine », raconte-t-il. « Tout est fait pour nous dégoûter de venir… et ça marche ! » renchérit
Pauline. A Paris-I, la moitié des étudiants en droit échouent en première année, un chiffre élevé mais en dessous de la moyenne nationale (60 %).
Paris (XIIIe), le 6 septembre. Emma et Alexis savourent leur chance d'être là.
En face, adossés aux barrières devant le centre universitaire, Alexis et Emma savourent leur chance d'être là. Tous les deux ont obtenu au printemps leur premier vœu d'orientation. Ils ne savent pas très bien par quel miracle et ignorent tout autant ce qui les attend cette année. Personne ne leur a dit où se procurer l'emploi du temps des cours, et même après cette réunion de prérentrée, « il faut bien avouer qu'on ne sait pas encore vraiment ce qu'est le droit », confie Alexis. Pourtant, le jeune homme « ne se voyait pas faire autre chose » au sortir de son bac ES, obtenu ric-rac à l'issue d'une scolarité « à 8/20 pendant tout le lycée ».
« S’il y avait une sélection sèche à la fac, avec mes notes, je n’aurais été pris nulle part », remarque-t-il. « La fac est la seule orientation non sélective. Je sais que le tirage au sort n’est pas juste pour ceux qui ont de bonnes notes et ont été refusés, mais ça en aide d’autres… Moi, en l’occurrence », ajoute, gênée, Emma, elle aussi bachelière ES.
« Depuis ma seconde, je sais que je veux aller en fac parce que j’aime cette liberté qu’on nous donne ici, explique la Parisienne. On verra si j’accroche ou pas. » Et de se reprendre : « Il vaut mieux que j’accroche, parce que sinon je ne sais pas ce que je vais faire. »
Chiffres clés
1,6 million d’étudiants étaient inscrits à l’université en 2016-2017. Cette année, on en attend 40 000 de plus en première année de licence.
39 % des bacheliers ont demandé en premier voeu une place en licence à l’université cette année.
40 % des étudiants, en moyenne, obtiennent leur licence en trois ou quatre ans.
Christel Brigaudeau
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